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rend-elle des services valant réellement cent francs par mois ? J’ai deux chemises, l’habit que vous voyez, quelques mauvaises armes, et je suis sûr de finir par la corde : j’ose croire que je suis désintéressé. Je serais heureux sans ce fatal amour qui ne me laisse plus trouver que malheur auprès de la mère de mes enfants. La pauvreté me pèse comme laide : j’aime les beaux habits, les mains blanches…

Il regardait celles de la duchesse de telle sorte que la peur la saisit.

— Adieu, monsieur, lui dit-elle : puis-je vous être bonne à quelque chose à Parme ?

— Pensez quelquefois à cette question : son emploi est de réveiller les cœurs et de les empêcher de s’endormir dans ce faux bonheur tout matériel que donnent les monarchies. Le service qu’il rend à ses concitoyens vaut-il cent francs par mois ?… Mon malheur est d’aimer, dit-il d’un air fort doux, et depuis près de deux ans mon âme n’est occupée que de vous, mais jusqu’ici je vous avais vue sans vous faire peur. Et il prit la fuite avec une rapidité prodigieuse, qui étonna la duchesse et la rassura. Les gendarmes auraient de la peine à l’atteindre, pensa-t-elle ; en effet, il est fou.

Il est fou, lui dirent ses gens ; nous savons tous depuis longtemps que le pauvre homme est amoureux de madame ; quand madame est ici, nous le