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cet ordre, et la duchesse écrivit de sa main une longue reconnaissance antidatée d’un an, et par laquelle elle déclarait avoir reçu, de Ludovic San Micheli, la somme de 80 000 francs, et lui avoir donné en gage la terre de la Ricciarda. Si après douze mois révolus la duchesse n’avait pas rendu lesdits 80 000 francs à Ludovic, la terre de la Ricciarda resterait sa propriété.

Il est beau, se disait la duchesse, de donner à un serviteur fidèle le tiers à peu près de ce qui me reste pour moi-même.

— Ah çà ! dit la duchesse à Ludovic, après la plaisanterie du réservoir je ne te donne que deux jours pour te réjouir à Casal Maggiore. Pour que la vente soit valable, dis que c’est une affaire qui remonte à plus d’un an. Reviens me rejoindre à Belgirate, et cela sans le moindre délai ; Fabrice ira peut-être en Angleterre, où tu le suivras.

Le lendemain de bonne heure la duchesse et Fabrice étaient à Belgirate.

On s’établit dans ce village enchanteur ; mais un chagrin mortel attendait la duchesse sur ce beau lac. Fabrice était entièrement changé ; dès les premiers moments où il s’était réveillé de son sommeil, en quelque sorte léthargique, après sa fuite, la duchesse s’était aperçue qu’il se passait en lui quelque chose d’extraordinaire. Le sentiment profond par lui caché avec beaucoup de soin était assez bizarre, ce n’était rien moins que ceci : il était au