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tout, de ce qu’était leur conversation avant ce fatal combat avec Giletti qui les avait séparés. Fabrice devait à la duchesse l’histoire des neuf mois passés dans une horrible prison, et il se trouvait que sur ce séjour il n’avait à dire que des paroles brèves et incomplètes.

Voilà ce qui devait arriver tôt ou tard, se disait la duchesse avec une tristesse sombre. Le chagrin m’a vieillie, ou bien il aime réellement, et je n’ai plus que la seconde place dans son cœur. Avilie, atterrée par ce plus grand des chagrins possibles, la duchesse se disait quelquefois : Si le Ciel voulait que Ferrante fût devenu tout à fait fou ou manquât de courage, il me semble que je serais moins malheureuse. Dès ce moment ce demi-remords empoisonna l’estime que la duchesse avait pour son propre caractère. Ainsi, se disait-elle avec amertume, je me repens d’une résolution prise : Je ne suis donc plus une del Dongo !

Le Ciel l’a voulu, reprenait-elle : Fabrice est amoureux, et de quel droit voudrais-je qu’il ne fût pas amoureux ? Une seule parole d’amour véritable a-t-elle jamais été échangée entre nous ?

Cette idée si raisonnable lui ôta le sommeil, et enfin ce qui montrait que la vieillesse et l’affaiblissement de l’âme étaient arrivés pour elle avec la perspective d’une illustre vengeance, elle était cent fois plus malheureuse à Belgirate qu’à Parme. Quant à la personne qui pouvait causer l’étrange