Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/328

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C’est ce maudit papier que je suis allée faire signer qui lui donnera la mort ! Que ces hommes sont fous avec leurs idées d’honneur ! Comme s’il fallait songer à l’honneur dans les gouvernements absolus, dans les pays où un Rassi est ministre de la justice ! Il fallait bel et bien accepter la grâce que le prince eût signée tout aussi facilement que la convocation de ce tribunal extraordinaire. Qu’importe, après tout, qu’un homme de la naissance de Fabrice soit plus ou moins accusé d’avoir tué lui-même, et l’épée au poing, un histrion tel que Giletti ?

À peine le billet de Fabrice reçu, la duchesse courut chez le comte, qu’elle trouva tout pâle.

— Grand Dieu ! chère amie, j’ai la main malheureuse avec cet enfant, et vous allez encore m’en vouloir. Je puis vous prouver que j’ai fait venir hier soir le geôlier de la prison de la ville ; tous les jours votre neveu serait venu prendre le thé chez vous. Ce qu’il y a d’affreux, c’est qu’il est impossible à vous et à moi de dire au prince que l’on craint le poison, et le poison administré par Rassi ; ce soupçon lui semblerait le comble de l’immoralité. Toutefois, si vous l’exigez, je suis prêt à monter au palais ; mais je suis sûr de la réponse. Je vais vous dire plus : je vous offre un moyen que je n’emploierais pas pour moi. Depuis que j’ai le pouvoir en ce pays, je n’ai pas fait périr un seul homme, et vous savez que je suis tellement nigaud de ce côté-là, que quelquefois, à la chute du jour,