Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 378 —

vait arriver en ce monde, lui qui autrefois ne laissait passer aucun incident sans dire son mot, qu’elle finit par arriver à cette affreuse conclusion : Fabrice était tout à fait changé ; il l’avait oubliée : s’il était tellement maigri, c’était l’effet des jeûnes sévères auxquels sa piété se soumettait. Clélia fut confirmée dans cette triste idée par la conversation de tous ses voisins : le nom du coadjuteur était dans toutes les bouches ; on cherchait la cause de l’insigne faveur dont on le voyait l’objet : lui, si jeune, être admis au jeu du prince ! On admirait l’indifférence polie et les airs de hauteur avec lesquels il jetait ses cartes, même quand il coupait son altesse.

— Mais cela est incroyable, s’écriaient de vieux courtisans ; la faveur de sa tante lui tourne tout à fait la tête… mais, grâce au Ciel, cela ne durera pas ; notre souverain n’aime pas que l’on prenne de ces petits airs de supériorité. La duchesse s’approcha du prince ; les courtisans qui se tenaient à distance fort respectueuse de la table de jeu, de façon à ne pouvoir entendre de la conversation du prince que quelques mots au hasard, remarquèrent que Fabrice rougissait beaucoup. Sa tante lui aura fait la leçon, se dirent-ils, sur ses grands airs d’indifférence. Fabrice venait d’entendre la voix de Clélia, elle répondait à la princesse qui, en faisant son tour dans le bal, avait adressé la parole à la femme de son chevalier d’honneur.