Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/73

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gerais dans son infâme cœur. Ne me demande pas des choses impossibles !

Oui, surtout oublier Fabrice ! et pas l’ombre de colère contre le prince, reprendre ma gaieté ordinaire, qui paraîtra plus aimable à ces âmes fangeuses, premièrement, parce que j’aurai l’air de me soumettre de bonne grâce à leur souverain ; en second lieu, parce que, bien loin de me moquer d’eux, je serai attentive à faire ressortir leurs jolis petits mérites ; par exemple, je ferai compliment au comte Zurla sur la beauté de la plume blanche de son chapeau qu’il vient de faire venir de Lyon par un courrier, et qui fait son bonheur.

Choisir un amant dans le parti de la Raversi… Si le comte s’en va, ce sera le parti ministériel ; là sera le pouvoir. Ce sera un ami de la Raversi qui règnera sur la citadelle, car le Fabio Conti arrivera au ministère. Comment le prince, homme de bonne compagnie, homme d’esprit, accoutumé au travail charmant du comte, pourra-t-il traiter d’affaires avec ce bœuf, avec ce roi des sots, qui toute sa vie s’est occupé de ce problème capital : les soldats de son altesse doivent-ils porter sur leur habit, à la poitrine, sept boutons ou bien neuf ? Ce sont ces bêtes brutes fort jalouses de moi, et voilà ce qui fait ton danger, cher Fabrice ! ce sont ces bêtes brutes qui vont décider de mon sort et du tien ! Donc, ne pas souffrir que le comte donne sa démission ! qu’il reste, dût-il subir des humiliations !