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Il serait difficile de décrire le désespoir du pauvre ministre. Elle a raison, j’en conviens, se disait-il à chaque instant ; mon omission du mot procédure injuste est un affreux malheur ; elle entraînera peut-être la mort de Fabrice, et celle-ci amènera la mienne. Ce fut avec la mort dans l’âme que le comte, qui ne voulait pas paraître au palais du souverain avant d’y être appelé, écrivit de sa main le motu proprio qui nommait Rassi chevalier de l’ordre de Saint-Paul et lui conférait la noblesse transmissible ; le comte y joignit un rapport d’une demi-page qui exposait au prince les raisons d’État qui conseillaient cette mesure. Il trouva une sorte de joie mélancolique à faire de ces pièces deux belles copies qu’il adressa à la duchesse.

Il se perdait en suppositions ; il cherchait à deviner quel serait à l’avenir le plan de conduite de la femme qu’il aimait. Elle n’en sait rien elle-même, se disait-il ; une seule chose reste certaine, c’est que, pour rien au monde, elle ne manquerait aux résolutions qu’elle m’aurait une fois annoncées. Ce qui ajoutait encore à son malheur, c’est qu’il ne pouvait parvenir à trouver la duchesse blâmable. Elle m’a fait une grâce en m’aimant, elle cesse de m’aimer après une faute involontaire, il est vrai, mais qui peut entraîner une conséquence horrible ; je n’ai aucun droit de me plaindre. Le lendemain matin, le comte sut que la duchesse avait recommencé à aller dans le