Page:Stendhal - Lamiel, 1928, éd. Martineau.djvu/205

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la liste des ouvrages choisis ; mais pour éviter cette liste accusatrice, Lamiel eut l’esprit de s’adresser aux livres non reliés et destinés à être lus. Mme Anselme voyant que les livres qu’elle emportait n’étaient point reliés, se contenta de les compter. En rapportant ce fardeau à la maison, Lamiel était d’une tristesse profonde ; elle ne pouvait répondre à une question qu’elle se faisait, ce qui la mettait en colère contre elle-même : « Comment, se disait-elle, je m’irrite de la grossièreté pleine de bienveillance que je trouve chez mon oncle, et je m’irrite encore de la politesse trop mielleuse de cette Mme Anselme, qui voudrait de tout son cœur me voir au fond du grand étang, comme disait le docteur Sansfin ; je suis donc à seize ans comme le docteur Sansfin dit que sont les femmes de cinquante ! Je m’irrite de tout et je suis en colère contre le genre humain.

L’exemplaire de Gil Blas que Lamiel avait pris au château avait des estampes, c’est ce qui la détermina à ouvrir ce livre de préférence aux autres. Elle avait réussi à introduire tous ces livres dans la tour sans être aperçue par son oncle, que la vue de tant de livres n’eût pas manqué de mettre en colère ; car, quoique maître d’école, il répétait souvent : « Ce sont les livres qui ont perdu la France. » C’était