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le rouge et le noir

presque évanouie de douleur. Il va humilier Julien, et par ma faute ! Elle eut horreur de son mari, et se cacha la figure avec les mains. Elle se promit bien de ne jamais faire de confidences.

Lorsqu’elle revit Julien, elle était toute tremblante, sa poitrine était tellement contractée qu’elle ne put parvenir à prononcer la moindre parole. Dans son embarras elle lui prit les mains qu’elle serra.

— Eh bien ! mon ami, lui dit-elle enfin, êtes-vous content de mon mari ?

— Comment ne le serais-je pas ? répondit Julien avec un sourire amer ; il m’a donné cent francs.

Madame de Rênal le regarda comme incertaine.

— Donnez-moi le bras, dit-elle enfin avec un accent de courage que Julien ne lui avait jamais vu.

Elle osa aller jusque chez le libraire de Verrières, malgré son affreuse réputation de libéralisme. Là, elle choisit pour dix louis de livres qu’elle donna à ses fils. Mais ces livres étaient ceux qu’elle savait que Julien désirait. Elle exigea que là, dans la boutique du libraire, chacun des enfants écrivît son nom sur les livres qui lui étaient échus en partage. Pendant que madame de Rênal était heureuse de la sorte de réparation qu’elle avait l’audace de faire à