Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
le rouge et le noir

à fait ce qu’elle se devait à elle-même, s’était placée presque entièrement entre Altamira et Julien. Son frère, qui lui donnait le bras, accoutumé à lui obéir, regardait ailleurs dans la salle, et, pour se donner une contenance, avait l’air d’être arrêté par la foule.

— Vous avez raison, disait Altamira ; on fait tout sans plaisir et sans s’en souvenir, même les crimes. Je puis vous montrer dans ce bal dix hommes peut-être qui seront damnés comme assassins. Ils l’ont oublié, et le monde aussi[1].

Plusieurs sont émus jusqu’aux larmes si leur chien se casse la patte. Au Père-Lachaise, quand on jette des fleurs sur leur tombe, comme vous dites si plaisamment à Paris, on nous apprend qu’ils réunissaient toutes les vertus des preux chevaliers, et l’on parle des grandes actions de leur bisaïeul qui vivait sous Henri IV. Si, malgré les bons offices du prince d’Araceli, je ne suis pas pendu, et que je jouisse jamais de ma fortune à Paris, je veux vous faire dîner avec huit ou dix assassins honorés et sans remords.

Vous et moi, à ce dîner, nous serons les seuls purs de sang, mais je serai méprisé et presque haï, comme un monstre san-

  1. C’est un mécontent qui parle.
    Note de Molière au Tartufe.