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l’esprit nuit

les jours elle se félicitait du parti qu’elle avait pris de se donner une grande passion. Cet amusement a bien des dangers, pensait-elle. Tant mieux ! mille fois tant mieux !

Sans grande passion, j’étais languissante d’ennui au plus beau moment de la vie, de seize ans jusqu’à vingt. J’ai déjà perdu mes plus belles années ; obligée pour tout plaisir à entendre déraisonner les amies de ma mère, qui, à Coblentz en 1792, n’étaient pas tout à fait, dit-on, aussi sévères que leurs paroles d’aujourd’hui.

C’était pendant que ces grandes incertitudes agitaient Mathilde que Julien ne comprenait pas ses longs regards qui s’arrêtaient sur lui. Il trouvait bien un redoublement de froideur dans les manières du comte Norbert, et un nouvel accès de hauteur dans celles de MM. de Caylus, de Luz et de Croisenois. Il y était accoutumé. Ce malheur lui arrivait quelquefois à la suite d’une soirée où il avait brillé plus qu’il ne convenait à sa position. Sans l’accueil particulier que lui faisait Mathilde, et la curiosité que tout cet ensemble lui inspirait, il eût évité de suivre au jardin ces brillants jeunes gens à moustaches, lorsque les après-dînées ils y accompagnaient mademoiselle de La Mole.

Oui, il est impossible que je me le dissi-