Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
une lettre

contractait ses joues et le forçait à rire malgré lui.

Enfin moi, s’écria-t-il tout à coup, la passion étant trop forte pour être contenue, moi, pauvre paysan, j’ai donc une déclaration d’amour d’une grande dame !

Quant à moi, ce n’est pas mal, ajouta-t-il en comprimant sa joie le plus possible. J’ai su conserver la dignité de mon caractère. Je n’ai point dit que j’aimais. Il se mit à étudier la forme des caractères ; mademoiselle de La Mole avait une jolie petite écriture anglaise. Il avait besoin d’une occupation physique pour se distraire d’une joie qui allait jusqu’au délire.

« Votre départ m’oblige à parler… Il serait au-dessus de mes forces de ne plus vous voir. »

Une pensée vint frapper Julien comme une découverte, interrompre l’examen qu’il faisait de la lettre de Mathilde, et redoubler sa joie. Je l’emporte sur le marquis de Croisenois, s’écria-t-il, moi, qui ne dis que des choses sérieuses ! Et lui est si joli ! il a des moustaches, un charmant uniforme ; il trouve toujours à dire, juste au moment convenable, un mot spirituel et fin.

Julien eut un instant délicieux ; il errait à l’aventure dans le jardin, fou de bonheur.