Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
252
le rouge et le noir

— On dirait en vérité, dit madame de La Mole comme il s’en allait, que ce M. Sorel est fier et content de ce qu’il vient de faire.

Ce mot tomba directement sur le cœur de Mathilde. Il est vrai, se dit-elle, ma mère a deviné juste, tel est le sentiment qui l’anime. Alors seulement cessa la joie de la scène qu’elle lui avait faite la veille. Eh bien, tout est fini, se dit-elle avec un calme apparent ; il me reste un grand exemple ; cette erreur est affreuse, humiliante ! elle me vaudra la sagesse pour tout le reste de la vie.

Que n’ai-je dit vrai ? pensait Julien, pourquoi l’amour que j’avais pour cette folle me tourmente-t-il encore ?

Cet amour, loin de s’éteindre comme il l’espérait, fit des progrès rapides. Elle est folle, il est vrai, se disait-il, en est-elle moins adorable ? est-il possible d’être plus jolie ? Tout ce que la civilisation la plus élégante peut présenter de vifs plaisirs, n’était-il pas réuni comme à l’envi chez mademoiselle de La Mole ? Ces souvenirs de bonheur passé s’emparaient de Julien, et détruisaient rapidement tout l’ouvrage de la raison.

La raison lutte en vain contre les souvenirs de ce genre ; ses essais sévères ne font qu’en augmenter le charme.