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la note secrète

comme pour chasser une idée importune.

— Monsieur, dit Julien, pendant qu’on m’arrangeait cet habit, j’ai appris par cœur la première page de la Quotidienne d’aujourd’hui.

Le marquis prit le journal, Julien récita sans se tromper d’un seul mot. Bon, dit le marquis, fort diplomate ce soir-là ; pendant ce temps ce jeune homme ne remarque pas les rues par lesquelles nous passons.

Ils arrivèrent dans un grand salon d’assez triste apparence, en partie boisé et en partie tendu de velours vert. Au milieu du salon, un laquais renfrogné achevait d’établir une grande table à manger, qu’il changea plus tard en table de travail, au moyen d’un immense tapis vert tout taché d’encre, dépouille de quelque ministère.

Le maître de la maison était un homme énorme, dont le nom ne fut point prononcé ; Julien lui trouva la physionomie et l’éloquence d’un homme qui digère.

Sur un signe du marquis, Julien était resté au bas bout de la table. Pour se donner une contenance, il se mit à tailler des plumes. Il compta du coin de l’œil sept interlocuteurs, mais Julien ne les apercevait que par le dos. Deux lui parurent adresser la parole à M. de La Mole sur le ton de l’égalité, les autres semblaient plus ou moins respectueux.