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le rouge et le noir

que sur le cœur de madame de Dubois ? Tous les jours on montait à cheval : le prince était fou de Julien. Ne sachant comment lui témoigner son amitié soudaine, il finit par lui offrir la main d’une de ses cousines, riche héritière de Moscou ; et une fois marié, ajouta-t-il, mon influence et la croix que vous avez là vous font colonel en deux ans.

— Mais cette croix n’est pas donnée par Napoléon, il s’en faut bien.

— Qu’importe, dit le prince, ne l’a-t-il pas inventée ? Elle est encore de bien loin la première en Europe.

Julien fut sur le point d’accepter ; mais son devoir le rappelait auprès du grand personnage ; en quittant Korasoff il promit d’écrire. Il reçut la réponse à la note secrète qu’il avait apportée, et courut vers Paris ; mais à peine eut-il été seul deux jours de suite, que quitter la France et Mathilde lui parut un supplice pire que la mort. Je n’épouserai pas les millions que m’offre Korasoff, se dit-il, mais je suivrai ses conseils.

Après tout, l’art de séduire est son métier ; il ne songe qu’à cette seule affaire depuis plus de quinze ans, car il en a trente. On ne peut pas dire qu’il manque d’esprit ; il est fin et cauteleux ; l’enthousiasme, la poésie sont une impossibilité dans ce