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le rouge et le noir

du peu de rapport des réponses avec ses lettres.

Quelle n’eût pas été l’irritation de son orgueil, si le petit Tanbeau, qui s’était constitué espion volontaire des démarches de Julien, eût pu lui apprendre que toutes ces lettres non décachetées étaient jetées au hasard dans le tiroir de Julien.

Un matin, le portier lui apportait dans la bibliothèque une lettre de la maréchale ; Mathilde rencontra cet homme, vit la lettre et l’adresse de l’écriture de Julien. Elle entra dans la bibliothèque comme le portier en sortait ; la lettre était encore sur le bord de la table ; Julien, fort occupé à écrire, ne l’avait pas placée dans son tiroir.

— Voilà ce que je ne puis souffrir, s’écria Mathilde en s’emparant de la lettre ; vous m’oubliez tout à fait, moi qui suis votre épouse. Votre conduite est affreuse, Monsieur.

À ces mots, son orgueil, étonné de l’effroyable inconvenance de sa démarche, la suffoqua ; elle fondit en larmes, et bientôt parut à Julien hors d’état de respirer.

Surpris, confondu, Julien ne distinguait pas bien tout ce que cette scène avait d’admirable et d’heureux pour lui. Il aida Mathilde à s’asseoir ; elle s’abandonnait presque dans ses bras.