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une loge aux bouffes

peu enorgueilli de sa pénible victoire, avait craint ses propres regards, et n’avait pas dîné à l’hôtel de La Mole.

Son amour et son bonheur augmentaient rapidement à mesure qu’il s’éloignait du moment de la bataille ; il en était déjà à se blâmer. Comment ai-je pu lui résister, se disait-il ; si elle allait ne plus m’aimer ! un moment peut changer cette âme altière, et il faut convenir que je l’ai traitée d’une façon affreuse.

Le soir, il sentit bien qu’il fallait absolument paraître aux Bouffes dans la loge de madame de Fervaques. Elle l’avait expressément invité : Mathilde ne manquerait pas de savoir sa présence ou son absence impolie. Malgré l’évidence de ce raisonnement, il n’eut pas la force, au commencement de la soirée, de se plonger dans la société. En parlant, il allait perdre la moitié de son bonheur.

Dix heures sonnèrent : il fallut absolument se montrer.

Par bonheur il trouva la loge de la maréchale remplie de femmes, et fut relégué près de la porte, et tout à fait caché par les chapeaux. Cette position lui sauva un ridicule ; les accents divins du désespoir de Caroline dans le Matrimonio segreto le firent fondre en larmes. Madame de Fervaques vit ces larmes ; elles faisaient