Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/379

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
378
le rouge et le noir

la pauvreté lui semblait ignoble, déshonorante pour lui M. de La Mole, impossible chez l’époux de sa fille ; il jetait l’argent. Le lendemain, son imagination prenant un autre cours, il lui semblait que Julien allait entendre le langage muet de cette générosité d’argent, changer de nom, s’exiler en Amérique, écrire à Mathilde qu’il était mort pour elle. M. de La Mole supposait cette lettre écrite, il suivait son effet sur le caractère de sa fille…

Le jour où il fut tiré de ces songes si jeunes par la lettre réelle de Mathilde, après avoir pensé longtemps à tuer Julien ou à le faire disparaître, il rêvait à lui bâtir une brillante fortune. Il lui faisait prendre le nom d’une de ses terres ; et pourquoi ne lui ferait-il pas passer sa pairie ? M. le duc de Chaulnes, son beau-père, lui avait parlé plusieurs fois, depuis que son fils unique avait été tué en Espagne, du désir de transmettre son titre à Norbert…

L’on ne peut refuser à Julien une singulière aptitude aux affaires, de la hardiesse, peut-être même du brillant, se disait le, marquis… Mais au fond de ce caractère je trouve quelque chose d’effrayant. C’est l’impression qu’il produit sur tout le monde, donc il y a là quelque chose de réel (plus ce point réel était dif-