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un habile pianiste

C’était Mathilde. Heureusement, elle ne m’a pas compris. Cette réflexion lui rendit tout son sang-froid. Il trouva Mathilde changée comme par six mois de maladie : réellement elle n’était pas reconnaissable.

— Cet infâme Frilair m’a trahie, lui disait-elle en se tordant les mains : la fureur l’empêchait de pleurer.

— N’étais-je pas beau hier quand j’ai pris la parole ? répondit Julien. J’improvisais, et pour la première fois de ma vie ! Il est vrai qu’il est à craindre que ce ne soit aussi la dernière.

Dans ce moment, Julien jouait sur le caractère de Mathilde avec tout le sang-froid d’un pianiste habile qui touche un piano… L’avantage d’une naissance illustre me manque, il est vrai, ajouta-t-il, mais la grande âme de Mathilde a élevé son amant jusqu’à elle. Croyez-vous que Boniface de La Mole ait été mieux devant ses juges ?

Mathilde, ce jour-là, était tendre sans affectation, comme une pauvre fille habitant un cinquième étage ; mais elle ne put obtenir de lui des paroles plus simples. Il lui rendait, sans le savoir, le tourment qu’elle lui avait souvent infligé.

On ne connaît point les sources du Nil, se disait Julien ; il n’a point été donné à