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LA VIE EN PRISON

Quand il eut repris haleine : — Avant-hier seulement, je reçois votre lettre de Strasbourg, avec vos cinq cents francs pour les pauvres de Verrières ; on me l’a apportée dans la montagne, à Liveru où je suis retiré chez mon neveu Jean. Hier, j’apprends la catastrophe ciel ! est-il possible ! Et le vieillard ne pleurait plus, il avait l’air privé d’idée, et ajouta machinalement : Vous aurez besoin de vos cinq cents francs, je vous les rapporte.

— J’ai besoin de vous voir, mon père, s’écria Julien attendri. J’ai de l’argent de reste.

Mais il ne put plus obtenir de réponse sensée. De temps à autre, M. Chélan versait quelques larmes qui descendaient silencieusement le long de sa joue ; puis il regardait Julien, et était comme étourdi de le voir lui prendre les mains et les porter à ses lèvres. Cette physionomie si vive autrefoi », et qui peignait avec tant d’énergie les plus nobles sentiments, ne sortait plus de l’air apathique. Une espèce de paysan vint bientôt chercher le vieillard. — Il ne faut pas le fatiguer et le faire trop parler *, dit-il à Julien, qui comprit que c’était le neveu. Cette apparition laissa Julien plongé dans un malheur cruel et qui éloignait les larmes. Tout lui paraissait triste et sans consolation ; il sentait son cœur glacé dans sa poitrine.

Cet instant fut le plus cruel qu’il eût éprouvé depuis le crime. Il venait de voir la mort, et dans