Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/193

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avec messieurs les maris, qui avaient toujours soin de le placer dos à dos avec la plus jolie femme du salon. Il se réduisit volontiers au rôle d’observateur. L’ignorance de ces pauvres femmes est inimaginable. Les fortunes sont bornées ; les maris lisent des journaux auxquels ils sont abonnés en commun, et que leurs moitiés ne voient jamais. Leur rôle est absolument réduit à celui de faire des enfants et de les soigner quand ils sont malades. Seulement, le dimanche, donnant le bras à leurs maris, elles vont étaler dans une promenade les robes et les châles de couleur voyante dont ceux-ci ont jugé à propos de récompenser leur fidélité à remplir les devoirs de mère et d’épouse.

Si Lucien avait été plus constant auprès de mademoiselle Sylviane Berchu, c’est que la société était plus commode ; il suffisait d’entrer dans une boutique. Notre héros finit par être de l’avis de M. le préfet, dont l’affectation marquée et l’air doucereux frappaient tous les soirs à la porte de derrière du magasin de spiritueux ; sans s’arrêter dans la boutique, le premier magistrat du département passait dans l’arrière-boutique. Là, il se trouvait chez l’un des propriétaires les plus imposés du département, ainsi qu’il avait le soin de l’écrire à son ministre.