Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/373

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madame de Chasteller ni lui ne voulurent danser, il put lui dire, en riant et sans trop faire tache sur le ton général de l’entretien : « Pour me rapprocher de ces beaux yeux, j’ai acheté un missel, je suis allé me battre, je me suis lié avec M. Du Poirier. » Les traits fort pâles en ce moment de madame de Chasteller, ses yeux étonnés, exprimaient une surprise profonde et presque de la terreur. Au nom de Du Poirier, elle répondit à mi-voix et comme hors d’état de prononcer complètement les mots : « C’est un homme bien dangereux ! »

À ces mots, Lucien fut ivre de joie : on ne se fâchait pas des motifs qu’il donnait à sa conduite à Nancy. Mais oserait-il croire ce qu’il lui semblait voir ?

Il y eut un silence expressif de deux ou trois secondes : les yeux de Lucien étaient fixés sur ceux de madame de Chasteller ; après quoi il osa répondre :

— Il est adorable à mes yeux ; sans lui je ne serais pas ici… D’ailleurs, j’ai un affreux soupçon, ajouta la naïveté imprudente de Lucien.

— Lequel ? Et quoi donc ? » dit madame de Chasteller.

Elle sentit aussitôt qu’une réplique aussi directe, aussi vive de sa part, était une haute inconvenance ; mais elle avait parlé avant de réfléchir. Elle rougit pro-