Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/383

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qu’un sentiment : une admiration sans bornes pour ces êtres célestes. Elle songeait sans cesse aux objets de son dévouement. Comme elle avait l’âme naturellement élevée, les petites choses lui paraissaient ce qu’elles sont, c’est-à-dire peu dignes de voler l’attention d’un être né pour les grandes. Cette disposition lui donnait de l’indifférence et de la négligence pour toutes les petites choses ; et comme rien de secondaire ne la touchait, elle avait un fond de gaieté presque inaltérable. Son père appelait cela de l’enfantillage. Ce père, M. de Pontlevé, passait sa vie à avoir peur d’un nouveau 93 et à songer à la fortune de sa fille, qui était son paratonnerre contre ce malheur trop certain. Sa fille, fort riche, pensait rarement à l’argent, et tant d’imprudence donnait au vieillard une mauvaise humeur incessante. L’indifférence ou plutôt la philosophie de sa fille pour un misérable détail défavorable ne la mettait point aux abois comme son père. On pouvait dire de celui-ci qu’il n’aimait pas tant les Bourbons qu’il n’avait peur de 93. Madame de Chasteller se fût sentie humiliée de prendre de la joie pour un détail favorable à son courage.

La politique constante de son père avait été de l’éloigner peu à peu d’une amie