Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/399

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ment profonde, et qui en un clin d’œil sembla éteindre tout son courage. C’était l’accusation d’avoir violé, aux yeux de Leuwen, cette retenue féminine sans laquelle une femme ne peut être estimée d’un homme digne, à son tour, de quelque estime. En présence de ce chef d’accusation, sa douleur lui donna comme des moments de répit. Elle en vint à se dire tout haut et d’une voix à demi étouffée par les sanglots :

« S’il ne me méprisait pas, je le mépriserais lui-même. — Quoi ! reprenait-elle après un moment de silence, et comme cédant à sa fureur contre elle-même, un homme a osé me dire qu’il avait des soupçons sur ma conduite, et loin de détourner les yeux, je lui ai demandé de me justifier ! Non contente de cette indignité je me suis donnée en spectacle, j’ai laissé deviner mon cœur par ces êtres vils, dont le seul souvenir, quand je viens à penser sérieusement à eux, me fait prendre la vie en mépris pour des journées entières. Enfin, mes regards sans prudence m’ont mérité d’être rangée par M. Leuwen parmi ces femmes qui se jettent à la tête du premier homme qui leur plaît[1]. Car pourquoi n’aurait-il pas la présomption de son âge ?

  1. Donner de la fierté à Madame de Chasteller.