Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/100

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teller avait la récompense d’une âme pure : quand elle n’était point effarouchée par la présence ou le souvenir d’êtres malveillants, elle avait encore la gaieté folle de la jeunesse. À la fin des visites de Leuwen, quand, depuis trois quarts d’heure ou une heure, il ne lui parlait pas précisément d’amour, elle était d’une gaieté folle avec lui. Oserai-je le dire ? Au point quelquefois de lui jouer des tours d’écoliers, qui seraient indécents à Paris, par exemple de lui cacher son shako. Mais si en cherchant ensemble ce shako Leuwen avait l’indiscrétion de lui prendre la main, à l’instant madame de Chasteller se relevait de toute sa hauteur. Ce n’était plus une jeune fille étourdie et heureuse, on eût dit une femme sévère de trente ans. C’était le remords qui contractait ses traits à ce point.

Leuwen était fort sujet à ce genre d’imprudence ; et, nous le dirons à sa honte, quelquefois, assez rarement, l’éducation de Paris prenait le dessus. Ce n’était pas pour le bonheur de serrer la main d’une femme qu’il aimait qu’il prenait celle de madame de Chasteller, mais parce que je ne sais quoi en lui disait qu’il était ridicule de passer deux heures tête à tête avec une femme dont les yeux montraient quelquefois tant de bienveillance, sans