Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/103

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même l’esprit de voir combien ces imprudences irritaient profondément madame de Chasteller.]

Quoique bien traité en général, et se croyant aimé quand il était de sang-froid, Leuwen n’abordait cependant madame de Chasteller qu’avec une sorte de terreur. Il n’avait jamais pu se guérir d’un certain sentiment de trouble en sonnant à sa porte. Il n’était jamais sûr de la façon dont il allait être reçu. À deux cents pas de l’hôtel de Pontlevé, aussitôt qu’il l’apercevait, il n’était plus soi-même. Un fat du pays l’eût salué s’il lui eût rendu son salut avec trouble. La vieille portière de l’hôtel de Pontlevé était pour lui un être fatal, auquel il ne pouvait parler sans que la respiration lui manquât.

Souvent, ses phrases s’embrouillaient en parlant à madame de Chasteller, chose qui ne lui arrivait avec personne. C’était cet être-là que madame de Chasteller soupçonnait d’être un fat, et qu’elle regardait, elle aussi, avec terreur. Il était à ses yeux le maître absolu de son bonheur.

Un soir, madame de Chasteller eut à écrire une lettre pressée.

— Voilà un journal pour amuser vos loisirs », dit-elle en riant et en jetant à Leuwen un numéro des Débats ; et elle alla en sautant prendre un pupitre fermé