Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/176

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mademoiselle Bérard. Quand madame de Chasteller se sentait hors d’état de continuer une conversation un peu passable avec lui, elle lui proposait de jouer aux échecs. Quelquefois, il lui prenait timidement la main, un jour même il tenta de l’embrasser ; elle fondit en larmes, sans le fuir pourtant, elle lui demanda grâce et se mit sous la sauvegarde de son honneur. Comme cette prière était faite de bonne foi, elle fut écoutée de même. Madame de Chasteller exigeait qu’il ne lui parlât pas ouvertement de son amour, mais en revanche souvent elle plaçait la main dans son épaulette et jouait avec la frange d’argent. Quand elle était tranquille sur ses entreprises, elle était avec lui d’une gaieté douce et intime qui, pour cette pauvre femme, était le bonheur parfait.

Ils se parlaient de tout avec une sincérité parfaite, qui quelquefois eût semblé bien impolie à un indifférent, et toujours trop naïve. Il fallait l’intérêt de cette franchise sans bornes sur tout pour faire oublier un peu le sacrifice qu’on faisait en ne parlant pas d’amour. Souvent un petit mot indirect amené par la conversation les faisait rougir ; alors, il y avait un petit silence. C’était lorsqu’il se prolongeait trop que madame de Chasteller avait recours aux échecs.