Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/192

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la nuit ; elle passa par tous les sentiments qui font l’horreur de la plus noire jalousie.

Tout l’étonnait, tout effrayait sa retenue de femme, sa…[1] dans la passion dont elle était victime. Elle n’avait eu que de l’amitié pour le général de Chasteller et de la reconnaissance pour ses procédés parfaits. Elle n’avait pas même l’expérience des livres : on lui avait peint tous les romans, au Sacré-Cœur, comme des livres obscènes. Depuis son mariage, elle ne lisait presque pas de romans ; il ne fallait pas connaître ce genre de livres quand on était admis à la conversation d’une auguste princesse. D’ailleurs, les romans lui semblaient grossiers.

« Mais puis-je dire même que je suis fidèle à ce qu’une femme se doit à elle-même ? se dit-elle vers le matin de cette nuit cruelle. Si M. Leuwen était là, vis-à-vis de moi, me regardant en silence, comme il fait quand il n’ose me dire tout ce qu’il pense, malheureux par les folles exigences que prescrit ma vertu, c’est-à-dire mon intérêt personnel, pourrais-je supporter ses reproches muets ? Non, je céderais… Je n’ai aucune vertu, et je fais le malheur de ce que j’aime… »

Cette complication de douleurs fut

  1. Le mot est en blanc dans le manuscrit. N. D. L. E.