Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/363

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— Êtes-vous bien sûr de cela ? dit Lucien fort embarrassé. Je ne croyais pas le parti républicain si alerte…

Le blessé le regarda.

— Mon lieutenant, sauf votre respect, vous savez aussi bien que moi d’où ça vient.

— Je déteste ces horreurs, j’abhorre et je méprise les hommes qui ont pu se les permettre, s’écria Lucien, oubliant presque son rôle. Comptez sur moi. Je vous ai amené sept médecins, comme on ferait pour un général. Comment voulez-vous qu’autant de gens s’entendent pour une manigance ? Vous avez de l’argent ; appelez votre femme, ou un parent, ne buvez que ce que votre femme aura acheté… »

Lucien était ému, et le malade le regardait fixement ; la tête restait immobile, mais ses yeux suivaient tous les mouvements de Leuwen.

— Enfin, quoi ! dit le malade ; j’ai été caporal au 3e de ligne à Montmirail. Je sais bien qu’il faut sauter le pas, mais on n’aime pas à être empoisonné… Je ne suis pas honteux… et, ajouta-t-il en changeant de physionomie, dans mon métier il ne faut pas être honteux. S’il avait du sang dans les veines, après ce que j’ai fait pour lui et à sa demande