Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/399

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au monde : les ennuyeux, et l’air humide. Pour fuir ces deux pestes, il faisait des choses qui eussent donné des ridicules à tout autre, mais jusqu’à soixante-cinq ans qu’il avait maintenant, c’était lui qui donnait des ridicules, et n’en prenait pas. [Se] promenant sur le boulevard, son laquais lui donnait un manteau pour passer devant la rue de la Chaussée-d’Antin. Il changeait d’habit cinq ou six fois par jour au moins, suivant le vent qui soufflait, et avait pour cela des appartements dans tous les quartiers de Paris. Son esprit avait du naturel, de la verve, de l’indiscrétion aimable, plutôt que des vues fort élevées. Il s’oubliait quelquefois et avait besoin de s’observer pour ne pas tomber dans les genres imprudents ou indécents.

— Si vous n’aviez pas fait fortune dans le commerce de l’argent, lui disait sa femme qui l’adorait, vous n’eussiez pu réussir dans aucune autre carrière. Vous racontez une anecdote innocemment, et vous ne voyez pas qu’elle blesse mortellement deux ou trois prétentions.

— J’ai paré à ce désavantage : tout homme solvable est toujours sûr de trouver dans ma caisse mille francs offerts de bonne grâce. Enfin, depuis dix ans on ne me discute plus, on m’accepte.

M. Leuwen ne disait jamais la vérité