Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/52

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« Je suis guéri, s’écria-t-il après avoir fait quelques pas. Mon cœur n’est pas fait pour l’amour. Quoi ! C’est là la première entrevue, le premier rendez-vous avec une femme que l’on aime ! Mais comme j’avais tort de mépriser mes petites danseuses de l’Opéra ! Leurs pauvres petits rendez-vous me faisaient seulement penser à ce que serait un tel bonheur avec une femme que l’on aimerait d’amour[1]. Cette idée me rendait sombre quelquefois dans ces moments si gais, que j’étais fou ! Mais peut-être je n’ai point d’amour… Je m’étais trompé… Quel ridicule ! Quelle impossibilité ! Moi ! Aimer une femme ultra, avec ces idées égoïstes, méchantes, à cheval sur leurs privilèges, irritée vingt fois le jour parce qu’on s’en moque ! Avoir un privilège dont tout le monde se moque, le joli plaisir ! »

En se disant tout cela, il pensait à mademoiselle Bérard, il la voyait devant ses yeux, avec son petit bonnet de dentelles jaunes, retenu par un ruban vert fané. Cette magnificence peu propre et en décadence était pour lui comme l’idée d’une masure sale.

  1. Caractère de cet opus : Chimie exacte ; je décris exactement ce que les autres annonçaient par un mot vague et éloquent.