Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/87

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garnie de cinq ou six mûriers rabougris et traversée dans toute sa longueur par un ruisseau infect chargé de toutes les immondices de la ville ; l’eau était bleue, parce que le ruisseau servait aussi d’égout à plusieurs ateliers de teinture.

[Le linge étendu aux fenêtres pour sécher faisait horreur par sa pauvreté, son état de délabrement et sa saleté. Les vitres des fenêtres étaient sales et petites, et beaucoup de fenêtres avaient, au lieu de vitre, du vieux papier écrit et huilé. Partout une vive image de la pauvreté qui saisissait le cœur, mais non pas les cœurs qui espéraient gagner la croix en distribuant des coups de sabre dans cette pauvre petite ville.]

Le colonel mit son régiment en bataille le long de ce ruisseau. Là, les malheureux lanciers, accablés de soif et de fatigue, passèrent sept heures, exposés à un soleil brûlant du mois d’août, sans boire ni manger. Comme nous l’avons dit, à l’arrivée du régiment toutes les boutiques s’étaient fermées, et les cabarets plus vite que le reste.

— Nous sommes frais, criait un lancier.

— Nous voici en bonne odeur, répondait une autre voix.

— Silence, f…e ! » glapissait quelque lieutenant juste milieu.