Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/365

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endroit de ces environs où, à cette heure, il pût trouver quelque tranquillité et la certitude de n’être pas abordé, car il était un petit personnage et on lui faisait la cour.

Là, pendant une heure entière il se promena sur les dalles des trottoirs solitaires et put se dire et se redire :

« Non, je n’ai pas gagné un quine à la loterie, oui, je suis un nigaud incapable d’obtenir une femme par mon esprit et de la gagner autrement que par la méthode plate de la contagion de l’amour.

« Oui, mon père est comme tous les pères, ce que je n’avais pas su voir jusqu’ici ; avec infiniment plus d’esprit et même de sentiment qu’un autre, il n’en veut pas moins me rendre heureux à sa façon et non à la mienne. Et c’est pour servir cette passion d’un autre que je m’hébète depuis huit mois par le travail de bureau le plus excessif, et dans le fait le plus stupide. Car les autres victimes du fauteuil de maroquin au moins sont ambitieux, le petit Desbacs par exemple. Ces phrases emphatiques et convenues que j’écris avec variations, dans la bonne intention de faire pâlir un préfet qui souffre un café libéral dans sa ville, ou pour faire pâmer d’aise celui qui, sans se compromettre, a pu gagner un jury et envoyer