Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/354

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
ŒUVRES DE STENDHAL.

ionique, qui dans le pays passent pour belles ; l’une d’elles donne sur la vallée de l’Erdre et m’avait déjà déplu le lendemain de mon arrivée. La colonnade de la Bourse, construite, ce me semble, sous le ministère de M. Crétet (un de ces grands travailleurs employés par Napoléon), se compose de dix colonnes ioniques, qui supportent un entablement couronné par dix mauvaises statues. La façade opposée offre un prétendu portique d’ordre dorique et aussi quatre statues pitoyables.

La salle de spectacle a un péristyle de huit colonnes d’ordre corinthien, qui, comme celles de la Bourse et de la préfecture, manquent tout à fait de style. Ces huit colonnes sont couronnées par huit pauvres statues représentant les muses ; laquelle a eu le bonheur d’être oubliée ? Le véritable caractère de l’architecture de Louis XV, c’est de faire des colonnes qui ne soient que des poteaux.

Il m’a fallu voir le Muséum d’histoire naturelle, l’Hôtel des Monnaies, la Halle au blé, la Halle aux toiles, la maison du chapitre ; du moins le balcon de celle-ci est-il décoré de quatre cariatides en bas-relief, que l’on prétend copiées des cartons de Pugel ; mais les échevins de Nantes les ont fait gratter et peindre. Peu de sculptures auraient pu résister à un traitement aussi barbare ; toutefois on trouve encore dans celles-ci quelques traits de force et d’énergie.

Quoi qu’on en dise, le Français, surtout en province, n’a nullement le sentiment des arts ; je me hâte d’ajouter qu’il a celui de la bravoure, de l’esprit et du comique. Si vous doutez de la partie défavorable de mon assertion, allez voir les deux cariatides sur la place de la cathédrale à Nantes.

Je croyais être quitte des beautés de cette ville ; mais il m’a fallu subir encore les hôtels de Rosmadec, d’Aux, Deurbroucq et Briord. Je n’ai été un peu consolé durant cette longue corvée que par une jolie façade dans le goût de la renaissance, près de la cathédrale. Ce bâtiment sert maintenant à un déplorable usage : on y dépose les cercueils en bois.