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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Si le lecteur n’a pas vu cet arc de triomphe d’Orange, ou au moins une gravure passable, il trouvera les détails ci-dessus d’un technique bien ennuyeux. Mais comment ne pas parler avec détails d’une aussi belle chose et qui a fait le bonheur de toute ma journée ?


— Tullins, le 6 août 1837.

Hier, à Valence, il pleuvait et je fumais un cigare sur la porte de l’hôtel, comme doit faire tout bon voyageur qui cherche à voir et à connaître. L’hôte est venu, qui m’a conté l’histoire des bons vins du pays. C’est M. l’évêque de Valence qui est propriétaire de la vigne à laquelle nous devons le sublime vin de l’Ermitage. Il l’a louée à une compagnie qui, outre le prix de ferme, donne au propriétaire quatre cents bouteilles de la meilleure qualité, mais sous la condition qu’on n’en fera pas de cadeaux. On craint sans doute la comparaison avec le vin que la compagnie livre au commerce.

Je discutais sur les vins, lorsque j’ai vu descendre de la diligence de Marseille M. Buisson, négociant d’Alger, qui veut bien se charger de nos petites affaires en ce pays-là. M. Buisson se rend à Pont-en-Royans, où il possède une fabrique de draps : il cherchait une voiture ; je lui ai offert la mienne pour le mener dans son pays, que M. Bigilion m’a vanté comme fort pittoresque, et ce matin, à cinq heures, nous avons quitté Valence.

Il m’a dit, chemin faisant, de drôles de choses sur Alger, où il était il y a six jours. Avant le sage maréchal Valée, notre légèreté et notre jactance avaient si bien fait, que les Arabes croient fermement que les Français sont un peuple misérable, mourant de faim sur le rivage de la Méditerranée, autour d’une ville qui n’est pas le quart d’Alger, et que l’on nomme Marseille. Ces Français, ne sachant que devenir, viennent à Alger pour voler les bœufs ; ce sont d’ailleurs les plus fous des hommes. Un jour ils fusillent leurs prisonniers ; le lendemain, la peur naturelle qu’ils ont des Arabes leur revient, et ils accablent leurs