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ŒUVRES DE STENDHAL.

Il faut convenir que ces cercles sont parfaitement organisés et avec tout le bon sens possible. On y a d’abord toute liberté, et ensuite tous les journaux, tous les rafraîchissements désirables, des vins excellents. On y trouve des compagnons de vie que l’on voit tous les jours depuis vingt ans, et avec lesquels on finit par prendre le langage et presque les sentiments de l’amitié.

Je vais me permettre une chose énorme ; si vous êtes une dame, daignez passer six pages, et, qui que vous soyez, croyez que j’amoindris ma pensée autant que possible, loin de chercher à la rendre scandaleuse et offensante pour qui pense autrement que moi. À Genève, on dit des injures à George Sand ; moi, je ne dis d’injures à personne.

Le législateur de Genève, c’est évidemment Calvin ; je viens de voir la petite fenêtre au-dessus d’une voûte servant de passage, et de laquelle il prêchait son peuple une fois ou deux par semaine[1].

J’ajouterai que j’estime fort Calvin ; sans doute il valait mieux que les prêtres romains de son temps. D’abord, sans avoir fait vœu de pauvreté, il est mort pauvre et a toujours vécu pauvrement. Il a formé un peuple sage et moral qui, après trois siècles, conserve encore l’empreinte d’un caractère individuel.

Il me semble que ce qui distingue Genève, c’est que les deux sexes s’y voient aussi peu que possible, ce qui me fait regretter ces bons jésuites qui vous disent : « Livrez-vous à vos passions, soyez jeunes, faites tout ce qu’on fait dans la jeunesse, et ensuite venez me raconter vos petits péchés. Si vous exercez quelque pouvoir dans l’État, laissez-vous diriger par moi, et comptez que vous aurez certainement le salut éternel et les plaisirs dans ce monde. Croyez en outre que je vous rendrai bien des petits services. »

  1. Calvin, né à Noyon en 1509, vint à Genève en 1536 et y mourut en 1564. Le secrétaire de Calvin dénonça Servet, qui fut brûlé vif à Genève le 27 octobre 1553. Calvin prêchait que la liberté doit être interdite aux méchants.