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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Puisque je parle des médecins, je dois dire que ceux de Genève sont admirables.

1° Ils daignent interroger leurs malades ; 2° ils étudient leurs maladies ; 3° ils ne font pas d’esprit en leur parlant ; 4° ils ne mettent pas leur amour-propre à la promptitude des décisions. En cela, bien supérieurs à feu M. Dupuytren et à plusieurs docteurs vivants, gens d’esprit, qui font de l’esprit même avec leurs pauvres malades.

Je ne crois pas qu’aucun pays en Europe ait des noms supérieurs à ceux de MM. Prévost, Buttini, Maunoir, etc. ; on sait de quelle renommée M. Jurine jouissait en Europe.

Je connais à Genève un médecin jeune encore, fils d’un homme aisé, qui aime son état, interroge son malade pendant trois heures avant de prendre une opinion, le vient voir quatre fois dans un jour, s’il le faut, avant d’écrire sa consultation ; et, enfin, distribue à ses malades pauvres ce qu’il reçoit de ses malades qui sont à leur aise. Par malheur, sa faible santé le force à se retirer à la campagne.

Vers 1804, quelques Génevois faisaient un journal, la Bibliothèque britannique, que l’on pouvait toujours ouvrir avec plaisir, quand on était excédé du verbiage brillant et sans idée des journalistes français. Ce journal n’était décidément ennuyeux que quand il parlait morale ; il voulait que tout le monde fût heureux à la génevoise. Comme il n’y a pas fabrique de livres et littérature nationale à Genève, ce journal n’était point obligé à mentir constamment, sous peine de se faire six ennemis mortels tous les mois. Jamais il ne tombait dans la camaraderie, cette plaie mortelle de la littérature et des journaux de Paris.

Comment voulez-vous qu’un pauvre diable d’homme lettré, qui habite Castelnaudary, choisisse les livres nouveaux qu’il faut pourtant acheter ? Le rédacteur qui vient de porter aux nues, dans un journal estimé, la nouvelle traduction de… s’applaudit devant ses amis d’avoir tiré un article passable d’une des plus plates productions qui, depuis six mois, aient encom-