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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

que Pennec eût tant d’argent, je fis bannir (publier) sur la croix ; mais personne ne se plaignit d’avoir perdu ou d’avoir été volé.

« M. l’avocat du roi : Vous voyez bien, Pennec, que vous ne pouvez pas avoir trouvé d’argent dans un trou qui n’existait pas.

« Pennec : Oh ! l’argent bien ramassé ne fait pas un gros volume, et puis la voix peut avoir bouché le trou. (Hilarité générale.)

« Jean Poupon : Voilà six mois, Pennec est venu me demander la plus jeune et la plus jolie de mes filles en mariage : « Oui, volontiers, si tu as de l’argent. — J’ai mille écus, dit Pennec. — Oh ! je ne demande pas tant, je te la passerai pour moitié moins ; si tu as quinze cents francs, l’affaire est faite ; frappe là. » Nous fûmes prendre un verre de liqueur, et de là chez le curé, qui fit chercher le maire. Le maire et le curé furent d’avis qu’il fallait que Pennec montrât les quinze cents francs ; il ne put les montrer, et alors je lui dis : « Il n’y a rien de fait. » Pennec passe pour un devin, mais pas pour un voleur ; il m’a servi, j’ai été content de son service.

« Le maire : C’est vrai ce que dit le témoin ; une fille vaut cela dans notre commune.

« Après le réquisitoire de M. l’avocat du roi et la plaidoirie de Me Cuzon, qui a plus d’une fois égayé la cour, le jury et l’auditoire, M. le président fait le résumé des débats. Au bout de quelques minutes, le jury, qui probablement ne veut pas que la commune d’Ergué-Gobéric soit privée de son sorcier, déclare l’accusé non coupable.

« Sur une observation de Me Cuzon, la cour ordonne que les beaux habits seront immédiatement restitués à Pennec, qui n’a en ce moment qu’une simple chemise de toile et un pantalon de même étoffe. Aussitôt tous les témoins accourent et viennent respectueusement aider Pennec à emporter ses élégants costumes. Pennec a bientôt endossé le beau chupen, l’élégant bragon-bras et le large chapeau surmonté d’une belle plume de paon : il s’en retourne triomphant. » (Gazette des Tribunaux.)