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ŒUVRES DE STENDHAL.

sonnable que donne l’architecture grecque. Ces sentiments ne lui semblaient pas assez saisissants : c’est ainsi que, de nos jours, nous voyons les bourgeois de campagne enluminer les plus belles gravures.

Remarquez que dans les derniers instants où les peuples eurent le loisir de penser, ils s’étaient mis à admirer Claudien, au lieu de Virgile ; Salvien, au lieu de Tite-Live. Au renouvellement de la pensée, en 1200, le gothique voulut inspirer l’étonnement, exactement comme la mauvaise littérature se jette dans l’emphase, qui plaît aux femmes de chambre. Le gothique eut raison de s’occuper de l’imagination du fidèle qui assistait aux longues prières de l’église romaine ; et, dans son espoir d’inspirer l’étonnement, si voisin de la terreur, il sacrifia l’apparence extérieure de ses édifices à leur intérieur. L’aspect général de l’architecture grecque, surtout à l’extérieur, est rassurant, tranquille, majestueux : le temple grec ne devait recevoir que le sacrificateur, la victime et les prêtres. Le peuple était sûr la place voisine, exécutant des danses sacrées. La religion chrétienne, au lieu d’une fête de quelques instants, demanda plusieurs heures de suite à ses fidèles. Il fallait le temps de les arracher aux pensées du monde et de leur inspirer la peur de l’enfer, sentiment inconnu aux anciens (Aristote, la meilleure tête de toute l’antiquité, croyait l’âme mortelle) ; de là, pour le prêtre chrétien, la nécessité d’un grand édifice, et le désir que cet édifice, s’il parlait à l’âme, fût, avant tout, étonnant.

Après ce sentiment si utile de l’étonnement, une pauvreté misérable, et surtout laide, est ce qui distingue le plus l’architecture gothique du temple grec si beau et si solide à l’extérieur. Eh bien ! l’église de Ploërmel, comparée aux autres édifices gothiques, n’a l’air ni pauvre ni laid.

L’expression de Jupiter était celle de la justice et de la sérénité. Qui ne connaît la célèbre tête de Jupiter Mansuetus ? L’expression de la madone est celle de l’extrême douleur ; et la madone, comme on sait, a détrôné Dieu le Père dans la plus grande