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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

3. La charmante petite église de Saint-Maclou ?

4. La grande maison gothique située sur la place en face de la cathédrale ?

    chez un personnage important qui voyageait avec nous, dans le bateau, depuis Villequier.

    M. N… serait parfaitement en état d’être le Lavoisier des deux vieilles architectures. Il est fâcheux que M. le ministre de l’intérieur ne lui demande pas ce travail par une belle lettre.

    Dès l’entrée dans la cathédrale de Rouen, on se sent saisi de respect. C’est une croix latine ; le portail du milieu est suffisamment large, mais la lourde droite présente dans ses lignes verticales cette surface raboteuse que j’ai blâmée dans la tour de Bourges.

    Je serais encore dans cette église si, pour m’en arracher, je ne m’étais dit à chaque instant que j’avais bien d’autres choses à voir à Rouen. C’est une ville unique pour le beau gothique. Parmi les croûtes de toute nature qui, sous le nom de tableaux, gâtent les murs de cette belle église et empêchent de donner audience à ce que son architecture sublime dit au cœur, j’ai remarqué un petit tableau de deux pieds de haut : c’est Jésus-Christ et saint Thomas. J’y distinguais quelque chose, lorsqu’un second regard m’a fait reconnaître une copie du tableau du Guerchin à la galerie du Vatican. Le copiste a exagéré les mains grossières de saint Thomas ; mais, en revanche, il a oublié l’air de céleste bonté de Jésus.

    Je me suis arraché avec peine à la cathédrale ; il fallait bien aller à Saint-Jean, bâtie par le roi Richard II, d’Angleterre. C’est un des chefs-d’œuvre de l’art gothique, et, par bonheur, la moitié orientale de l’église se trouve placée au milieu d’un jardin anglais, accompagnement simple et sublime à la fois qui double la valeur du gothique. Par horreur pour l’animal nommé cicerone, je refusai les offres d’un petit homme qui venait m’ouvrir l’église, laquelle est fermée après onze heures du matin ; mais on l’ouvre de nouveau à la chute du jour pour les litanies, psalmodiées à haute voix par des femmes du peuple. Je recommande bien à l’amateur de ne pas manquer ce monument-là : c’est le triomphe du style gothique. Heureusement Saint-Ouen n’est gâtée par aucun ignoble ornement moderne.

    Toute réflexion faite, j’ai accepté le cicerone ; par bonheur, cet homme n’était point emphatique.

    Le fait est que cette nuance gris-noir va admirablement à ces piliers formés de la réunion de tant de petites colonnes. Si jamais la barbarie cesse de régner à Notre-Dame de Paris, on couvrira l’infâme badigeon,