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ŒUVRES DE STENDHAL.

Beaucaire. C’est ainsi que le négociant catalan peut apprendre qu’un négociant grec son ami est en foire, car c’est bien en vain que l’on demanderait une adresse au milieu de cette foule de gens étrangers les uns aux autres, et qui ne connaissent pas leurs voisins.

Ces enseignes amusent la vue : le jour de mon arrivée, elles étaient malheureusement agitées par un grand vent de mistral qui tue la joie facile. Il y en avait en toile de coton d’un beau rouge, avec de grandes lettres blanches ; d’autres en toiles jonquille avec de jolies lettres gothiques ; d’autres en toile verte avec des lettres rouges ; celles-ci faisaient mal aux yeux.

L’ensemble de ces pavillons a quelque chose d’oriental, et rappelle un navire pavoisé pour un jour de fête.

Quant à la vie morale, voici le premier trait de sa physionomie : tous les usages qui ne peuvent s’accomplir que lentement disparaissent, tout le monde est vif. La petite ville de Beaucaire ne pourrait contenir tous les marchands qui arrivent de Naples, de Gênes, de Grèce et de tous les pays du Midi ; par bonheur, sur la rive du fleuve, se trouve un vaste pré bordé de grands arbres ; c’est le pré de Sainte-Madeleine, que je préfère beaucoup à la ville. Là s’élèvent rapidement un grand nombre de baraques de planches. Vu la grande chaleur, beaucoup de négociants même préfèrent des tentes ; ainsi se forment des rues, des places, d’étroits passages. Chacun prend pour enseigne un instrument de sa profession, et d’ordinaire les marchands d’un même pays se réunissent dans la même rue.

Je rencontrai d’abord, dans ma course de curiosité après les premières affaires, les boutiques des marchands de savon, d’épiceries et de drogueries de Marseille ; plus loin, les parfumeurs de Grasse exposaient leur pommade et leurs savonnettes ; ceux de Montpellier leurs parfums et leurs liqueurs : j’achetai d’excellente eau de Portugal de M. Durand. En avançant, je trouvai de nombreuses baraques remplies de figues, de prunes, de raisin sec et d’amandes. Nous fûmes saisis par une odeur plus forte qu’a-