Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/213

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besoin de faire effort sur ma disposition intérieure pour admirer le quai Saint-Clair sur le Rhône, encore je ne l’admire pas, je juge qu’il est admirable.

Une fois, dans ma jeunesse, accablé de dégoût et ayant une heure à moi, j’entrai chez un libraire pour acheter un livre ; j’étais tellement endormi, que je ne savais quoi demander ; enfin je nommai au hasard Jacques le Fataliste, ou les romans de Voltaire. Le libraire recula d’un pas, prit un air morose et me fit un sermon sur l’immoralité des ouvrages dont je lui parlais. Il finit par m’offrir le Spectacle de la nature, de l’abbé Pluche. D’abord je fus irrité de l’impertinence de ce donneur d’avis ; mais en me prêchant il avait l’air si canut, si hébété, si important, qu’il finit par m’amuser. Je voulus vérifier s’il agissait par simple instinct de marchand. Peut-être il avait Pluche dans sa boutique, et n’avait pas les romans de Voltaire ; il les avait fort bien, le monstre, mais, comme il me trouvait l’air jeune, il ne voulut pas absolument me les vendre. Le soir, je contai ce trait-là à mon cousin C… ; il devint rouge, prétendit que j’exagérais ; en un mot, l’honneur municipal était blessé, et il ne m’adressa plus la parole de toute la soirée ; j’entrevis là un des agréments du caractère lyonnais.