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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

séparée des vains intérêts du monde, est disposée à sentir la beauté sublime. J’ai trouvé là beaucoup de tableaux de l’école italienne : un Luini, un Caravage, un Dominiquin, un Salvator Rosa, etc., mais le public français n’aime guère qu’on lui parle de ces choses-là, qu’il comprend peu. J’ai été séduit par un portrait charmant de Madame de Grignan, au fond de la plus grande salle à gauche. Quels yeux divins ! Ses lettres montrent une âme bien vulgaire pour ces yeux-là, une âme de duchesse. Peut-être ne disait-elle pas tout dans ces lettres à une mère. Peut-être ce portrait est-il celui d’une jolie femme qui sut aimer et ne s’appelait pas Grignan.

J’ai passé deux heures délicieuses à rêver dans ce musée. Quelle différence avec celui de Lyon ! Avignon gagnerait sans doute à échanger ses tableaux avec ceux du palais Saint-Pierre ; mais à Lyon l’atmosphère canut dessèche le cœur. L’imagination, en se montant un peu, craint d’être traîtreusement blessée par quelque laideur ou par quelque propos effroyable ; et quand on est au milieu des gens à argent, il faut se faire dur.

Le musée d’Avignon a douze mille médailles : c’est avec une curiosité d’enfant que j’ai considéré la belle collection grand