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ATHANASE AUGER

les princesses servent à table. » Cette saillie lui rendit tout son agrément et sa gaieté ; il n’insista pas davantage, et, serrant avec effusion la main de son ami, qui venait de faire un rapprochement si judicieux, ils passèrent dans le cabinet de l’abbé Auger pour s’occuper, en attendant qu’on eût servi le repas, à des choses plus sérieuses. Lorsque tout fut prêt, et qu’annonçant le dîner on vint se mettre à table, la petite Lacédémonienne, qui avait toujours soin de mettre son couvert entre celui de son oncle et [celui de] son ami, ne manqua pas de s’y placer. Arrivé au dessert, on s’empressa d’offrir à monseigneur de la crème, qu’il accepta très volontiers. Quant à l’abbé Auger, il ne pouvait souffrir ce mets, et prétendait qu’il lui donnait la fièvre. « Ah ! reprit tout à coup Sophie, oui, le fromage de crème fait mal à mon cher oncle : il lui donne des fièvres de lait (laid). » Elle voulait et entendait par là faire allusion à la figure du grand-oncle, qui était en effet fort laide ; et le prélat de rire et d’embrasser la petite espiègle, qui venait de faire là une plaisanterie fine et si satirique. « Ah ! méchante, dit le grand vicaire, tu me le payeras, et ta bourse s’en ressentira ; le petit jaunet de ton mois qui s’écoule n’entrera pas dedans.

« Ah ! mademoiselle, vous dites à monseigneur que je suis laid, vous lui faites apercevoir ce défaut de ma nature, lui qui m’avait toujours cru si beau ! — Allons !