Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
L’ISOLEMENT

fait tous les jours tellement hypocrite, qu’il est permis de trouver que ses gênes l’emportent sur ses agréments. Heurter les convenances ne serait rien sans le remords qui suit le crime, mais je suis peiné de voir la douleur de vanité que j’inflige à l’homme poli qui causait sans défiance avec moi, et qui reçoit tout à coup une réponse imprévue. Il entrevoit la possibilité de rester court.

L’absence de la peine de faire de la peine, jointe à l’augmentation du nombre et de l’énergie des sensations, fait peut-être tout le charme de la solitude ; celle du voyageur est d’ailleurs amusée par le mouvement, par la diversité et la nouveauté des aspects.

La diligence de La Charité s’est arrêtée un instant à Rousselan ; c’est une poste qui consiste[1] en une seule maison au milieu d’un champ environné de grands bois. Peu de sites m’ont donné davantage le sentiment de l’isolement complet, j’ai passé là un quart d’heure à me promener le long du bois, à cent pas de la ferme ; j’étais heureux, je voyais à mes pieds tous les chagrins du monde.

Quelques lieues plus avant, cheminant au travers de la plus triste des plaines,

  1. Je corrige ici d’après l’erratum de l’exemplaire Primoli et l’édition de 1854. N. D. L. É.