Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/46

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J’entrai dans le commerce des fers : c’était la partie de mon beau-père. Je fis des voyages comme commis, pour placer et acheter de la marchandise. Mon beau-père aime à avoir l’air affairé ; mais c’est le plus paresseux des hommes ; me trouvant disposé à travailler, il me laissait tout faire. Je réussis.

Par suite de diverses circonstances, auxquelles le hasard eut beaucoup plus de part que mon savoir faire, nos affaires prirent un grand développement, et ma fortune éprouva un accroissement important. J’étais heureux en apparence ; tout le monde eût juré que rien ne manquait à mon bonheur, et cependant le bonheur était bien loin de mon âme.

J’ose croire que ma femme bénissait son sort ; du moins n’épargnais-je rien pour aller au devant de tous ses désirs, et, je le crois, elle était heureuse. Mais enfin, je ne l’aimais point d’amour ; d’autre part, je n’avais eu que du respect pour mon père. Suis-je donc un monstre ? me disais-je. Suis-je destiné à ne jamais aimer ?

Le ciel me punit en m’accordant ce que je demandais : je fus jeune à trente ans ; mes idées changèrent sur tout ; il en fut de même de mes sentiments.

Au plus fort des agitations que me don-