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filosofia nova

L’homme vit d’après ce qu’il croit être[1] et non point d’après ce qu’il est véritablement. La sottise est la qualité d’un homme qui se nuit à lui-même par quelque ignorance. Par exemple Arnolphe ne se doutant pas que son ton doctoral offense continuellement la vanité[2] d’Agnès et que par là il rend à jamais l’amour impossible entre eux.

Voilà une action que tout homme ayant l’esprit éclairé, ou par l’expérience de l’amour ou par la curiosité, connaîtra sotte dans tous les temps, mais de plus s’il a la passion des femmes au même degré qu’Arnolphe il la trouvera très ridicule.

Si avec la même passion pour les femmes qu’Arnolphe et la même crainte d’être cocu un spectateur voit représenter l’École des Femmes, quelle impression recevra-t-il ?

S’il n’a point découvert d’autre moyen

  1. Ces choses qu’il croit être existantes, et non celles qui existent réellement. Toutes ses passions s’appuient sur les vérités de sa tête qui souvent sont des faussetés.
  2. J’ai une bien triste obligation à mes parents, c’est de prendre toujours dans mon premier mouvement les noms de passion : orgueil, vanité, amour-propre, en mauvaise part. Tâcher de me guérir de ce préjugé qui nuit infiniment à mes plus doux plaisirs, jetant pour un instant un vernis d’odieux sur les personnes que j’aime le mieux quand je discerne ces passions si naturelles dans elles. Je n’aurais pas ce malheur si mes parents avaient lu Helvétius.

    Maladie morale à guérir en moi. Mauvaise habitude de la tête qui vexe l’âme qui a changé et qui l’inspira autrefois.