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pensées

quons en passant que ces passions sacrifiées sont celles d’une grande âme chez Héloïse (c’est-à-dire d’une âme très passionnée, jointe à une excellente tête) celles d’une âme commune chez Julie. Les hommes n’aiment jamais (d’amour) une tête meilleure que la leur, elle les force à l’admiration, les humilie, rend l’amour impossible entre eux.

L’art du poète est de présenter le plus de plaisir possible au spectateur. Si c’est par la peinture des passions qu’il veut plaire, il faut donc qu’il les représente dans des âmes dont les têtes n’effarouchent pas.

Les sacrifices peuvent paraître moins grands aux yeux des gens raisonnables, mais dans la perspective du théâtre ils en jugent d’après les gens qui les voient de près. Il suivrait de là que le même homme (en tout le même) voyant la même action au théâtre et dans la nature en portera un jugement bien différent. En général notre raison ne rabat pas assez de ce que nous disent les gens passionnés.

C’est, je crois, parce que sa tête et son corps ont pris les habitudes de l’amour, par conséquent ont perdu la facilité de se plier aux autres passions ; or quand j’estime une passion je me figure la jouissance présente et je considère, j’estime le plaisir