Page:Stendhal - Promenades dans Rome, II, Lévy, 1853.djvu/15

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d’un petit marchand, comme celui qui vient de me vendre le portrait de Béatrix Cenci, prennent, en moins de cinquante ans, la couleur du gouvernement, et se décident par des moyens analogues et d’après les mêmes habitudes morales que les actions importantes.

Si vous me répondez par de l’emphase et de la philosophie allemande, nous parlerons d’autre chose ; mais, si vous m’estimez assez pour être de bonne foi, vous verrez par ces pourquoi, rapidement esquissés, comment il se fait que la plante homme est plus robuste et plus grande à Rome que partout ailleurs. Sous un bon gouvernement, elle ferait de plus grandes choses, mais aurait besoin, pour vivre, de moins d’énergie, et par conséquent serait moins belle. Je ne vous demande point de me croire sur parole ; seulement, si jamais vous allez devers Rome, ouvrez les yeux et cachez ce livre.

Ce qui suit est ennuyeux et s’adresse seulement aux esprits lents ou de mauvaise foi.

À Dieu ne plaise que je prétende que Pie VI ou Pie VII ont eu le caractère du père de César Borgia ; mais ce sont les souverains énergiques et actifs qui laissent une empreinte profonde dans la mémoire des peuples, et non pas les hommes doux, tels que Ganganelli, Lambertini et les papes qui ont régné depuis cent ans. Par la moralité, ces papes sont peut-être supérieurs aux souverains qui, pendant le dix-huitième siècle, ont occupé les trônes de l’Europe. Mais la politique de la cour de Rome est constante envers ses sujets comme envers les rois, et il s’est fait d’étranges choses, même sous les meilleurs papes. Voyez ce que toléraient, en 1783, dans les couvents de Toscane, les évêques les plus vertueux[1]. Le poison

  1. Vie de Scipion Ricci, par M. de Potter. Biographie de tous les papes, publiée à Bruxelles en 1827. Vies de Paul Jove. Je publierai dans les