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Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, II, 1928, éd. Martineau.djvu/282

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ROMANS ET NOUVELLES


qui auraient dû la remplir. Elle fut surtout choquée de sa gaieté : elle le regarda avec un étonnement naïf et tendre qui était divin. Féder eût donné sa vie pour pouvoir la rassurer en se jetant dans ses bras. La tentation fut si forte, qu’il eut recours à cette ressource banale : il regarda sa montre avec vivacité, et disparut sous prétexte d’un rendez-vous d’affaires dont l’heure était passée. Il est vrai qu’il fut obligé de s’arrêter sur l’escalier, tant son émotion était violente. « Je me trahirai un jour, c’est sûr », se disait-il en se retenant de toutes ses forces à la rampe, faute de laquelle il serait tombé. Ce regard étonné, et l’on peut dire si malheureux, de ne pas trouver de l’amour où elle craignait d’en rencontrer trop ; fit peut-être plus pour le bonheur de notre héros que les caresses si passionnées de la veille.

C’était l’heure de la promenade au bois de Boulogne. Féder monta à cheval ; mais, dès l’entrée du bois, il se jeta dans les chevaux d’une voiture, et, plus loin, il fut sur le point d’écraser un philosophe qui, afin d’être vu, avait choisi ce lieu pour méditer, et marchait en lisant.

« Je suis trop distrait pour monter à cheval, » se dit Féder en revenant au petit trot et s’obligeant à avoir les yeux constamment fixés devant lui.